Evidemment, les autres en face nous avait vu venir. Nous étions plus souvent dans des camps que sur des casernes, regroupé à l'écart avec les jeunes sortant de prisons. En fait c'est surement des conditions plus dures, mais probablement plus loin de la hiérarchie militaire, donc plus libre pour agir, mais surtout vivre au quotidien et dans la possibilité d'organiser le quotidien de notre vie. Mais surtout, en nous regroupant pour éviter la contagion, nous avons été suffisamment nombreux pour nous imposer, puis nous allier avec les Droits Communs qui n'était, disons le, plus des petites frappes que des mafieux psychopathes.
Alors des débats, nous en avons eu. Et moultes même. Tout d'abord sur le rapport à la délinquance. Dangereux ou pas les délinquants ? Risquant de nous attirer la foudre ? Ou l'attirant et donc nous protégeant tels des paratonnerre humains ? Idiots utiles (l'enfer c'est les autres) ou retournable et utilisable ?
Plus politique ensuite, et ce fut deux mois d'échanges interrompus à Nantes : comment s'organiser ? En syndicat, comme si nous étions une classe sociale, alors que nous étions avant tout une génération. C'était l'optique favorite des reliquats du trotskismes (à l'époque la LCR était au fond trou et l'électoralisme ne les avait pas encore frappé). De leur point de vue, un syndicat n'étant qu'un vivier de recrutement, peu importe qu'il ne s'agisse que d'un intérêt générationnel.
En comité organisé et structuré au risque de s'exposer à la répression ? Au final ce qui a prévalu ce fut la notion d'action individuelle collective. C'est à dire d'actions conduite par des individus, autonomes les unes par rapport aux autres, mais s'inscrivant dans un cadre d'échange collectif. Le truc c'était de ne pas structurer le cadre d'échange, d'être avant tout dans des échanges bilatéraux entre individus. En déstructurant totalement la structuration, le concept protégeait contre notre criminalisation, mais par contre n'a jamais permis d'organiser un véritable mouvement d'ensemble et de le pérenniser vers les générations suivantes. Sur l'instant ces préoccupations étaient plus que marginales, l'idée fondamentale était de construire les outils permettant à chacun de résister au totalitarisme, mais aussi de ne pas se souiller moralement au contact de celui-ci. Agir de manière limitée, trouver les compromis nécessaires, ne pas se compromettre moralement en tant qu'individu.
Dit autrement, comment dans un système totalitaire, on peut construire les interactions avec ce système totalitaire sans jamais rentrer dans sa finalité, tout en construisant les coopérations (et donc les alliances) avec les autres acteurs de ce système (et notamment ses pairs) pour pouvoir survivre dans ce totalitarisme en influant localement sur son fonctionnement (et même sur des finalités partielles) sans se compromettre en tant qu'individu. La logique de l'influence locale et l'autolimitation étant directement importé de l'Europe Centrale et Orientale. Il s'agit trouver les méthodes d'actions même si l'on sait qu'au final, il sera impossible de changer la nature du système. Evidemment différence fondamentale avec une dictature "totale", dès que nous étions sorti du système, nous retrouvions les libertés démocratiques classiques... Mais à mon sens c’était un excellent exercice pour tenter d'appréhender la démarche à construire soit dans une dictature totale, soit dans un espace partiellement non démocratique d'une société démocratique (par exemple l'entreprise).
Débat plus chinois et coupeur de cheveux en quatre sur la notion d'arme défensive et offensive. Mais que l'on retrouvera également sur l'engagement militaire légitime ou non. La conclusion c'était que s'il est défensif, l'engagement militaire est légitime, s'il est offensif, il ne l'est pas. Dans la vraie vie, comment nous l'aurions résolu ce dilemme, fort heureusement, l'histoire nous en a dispensé.
Étions nous militariste ou antimilitariste ? Tous les jeunes étaient anti-militaristes. Mais nous, nous étions très partagé entre des pacifistes sincères, d'autres ayant un rejet viscéral du militarisme et enfin pour certain une contradiction forte entre un engagement politique n'excluant jamais l'option militaire et l'absurdité de ce que nous voyons.
A contrario, l'attitude des Témoins de Jehova qui envoyait régulièrement des jeunes jouer au martyr en refusant tout compromis avec l'institution, y compris les demandes de réforme ou celle d'objecteurs de conscience était incomprise par tous et fortement condamnés par nous. Elle n'avait aucun impact sur le système, les jeunes concernés le payait très cher. Mais évidement pour l'organisation "Témoin de Jehova" cela avait très probablement un rôle sur la manière dont ils s’attachaient leurs membres. D'une certaine manière tout ceux qui prônaient, sans en avoir les moyens, un affrontement frontal avec le système étaient dans une logique, non pas de faire bouger les lignes, non pas de construire des espaces de liberté, non pas de convaincre les autres. Ils étaient dans une logiquement d'isolement, à la seule fin de solidifier dans cette isolement leur organisation que celle-ci soit à finalité religieuse ou politique.
Vu d'ici et de maintenant, certains échanges sont étonnant. Il s'agissait de décider si on devait aller en Nouvelle Calédonie (toujours ce penchant pour être au coté du peuple), ou de savoir si les Volontaires Services Long était du coté des engagés ou du notre. Disons pour résumer que si nous acceptions les VSL comme nôtres, il est clair que la perspective de devoir être VSL pour aller en Nouvelle Calédonie ont refroidi beaucoup d'ardeurs (mais pas toutes).
Et l'année se finit sur le questionnement de la réserve. Mais de mémoire, personne n'avait au bout de 12 mois encore envie de jouer au petit soldat...
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